mercredi 14 novembre 2007

Lettre aux multiples candidates et candidats à la Mairie de Québec sur l'ascension inquiétante du plébéisme au Québec

Chères coiffeuses, propriétaires de casse-croûtes et autres candidats à la Mairie de Québec,

C'est avec un sourire de désespoir que je regardais, il y a peu, un modeste reportage sur la pluralité des aspirants au trône de Madame la Mairesse Boucher, partie malheureusement avant d'avoir fait trop de mal, en un majestueux coup de théâtre dont elle seule connaissait le secret, laissant la population de Québec dans un égarement politique pitoyable.

Si je me permets de vous écrire à ce sujet aujourd'hui, c'est que la vie municipale de Québec me touche, étant originaire de la Vieille Capitale (vous l'aurez deviné par l'arrogance pompeuse du personnage). Exilé depuis de nombreuses années, je n'en suis pas moins indifférent face aux déboires politiques des habitants de ce qu'on nommait autrefois l'Abitation. Ce n'est pas un hasard si je fais innocemment allusion à la réputation snobinarde des gens de Québec (réputation que je contribue d'ailleurs à entretenir), puisque c'est justement de snobisme dont je veux vous entretenir ou plutôt de la disparition malheureuse de ce phénomène dans les moeurs québécoises. Pour moi, l'affaire est d'autant plus d'actualité que j'enseigne en ce moment les péripéties du pauvre Jourdain, le bourgeois gentilhomme, snob fieffé trompé par sa propre naïveté et accablé de ridicule sous la plume de Monsieur Molière.

Mélangeant toutes ces idées dans ma tête, j'aboutis à la réflexion suivante : peut-on condamner le snob pour sa démarche en elle-même, c'est-à-dire sa volonté de s'élever socialement et intellectuellement, de se distinguer de la plèbe ignorante et méprisante ? Quel mal y a-t-il à vouloir se cultiver, se raffiner, rechercher l'élégance en toute chose ? Le problème du snob, c'est de n'y arriver qu'à moitié; c'est d'ailleurs tout le drame de Jourdain : l'étendue limitée (pour ne pas dire farfelue) de ses nouvelles connaissances ne suffit en rien à justifier son dédain de la bourgeoisie médiocre à laquelle il appartient encore, malgré lui. Or, parce que le snob, dans son orgueil et son air « supérieur », est souvent condescendant à l'égard de tout ce qu'il considère comme populaire, le peuple lui oppose un mépris qui ne devrait être dirigé que contre l'attitude mais qui, dans la foulée, englobe également la démarche.

Vous me suivez, jusque là ? Oui, je sais, Drôles de vidéos débute sous peu à TQS, ne craignez rien, je ne vous retiendrai plus très longtemps.

J'en arrive au coeur de ma réflexion : la sphère politique a toujours été une affaire de snobs. Les politiciens ont longtemps conservé leur allure de satrapes prétentieux, membres privilégiés de l'élite sociale et intellectuelle. Si leur attitude hautaine pouvait en froisser certains, on ne pouvait toutefois douter de leur aptitude à réfléchir (qu'on soit d'accord ou non avec les idées proposées) et à gouverner un État. Or, la montée de l'ADQ et la course à la Mairie de Québec, entre autres choses, témoignent d'un revirement total dans la perception du politicien au Québec. La figure du snob est définitivement destinée à la guillotine : c'est le problème des Boislcair et Dion, dont la seule faute a été d'assumer leur identité de snobs. Verdict : « ils ne passent pas », diront en choeur les plombiers de ce monde et autres analystes politiques de TVA.

Tout comme le snob, autrefois, recherchait l'élégance, l'éloquence et la culture pour être valorisé dans la société, les politiciens d'aujourd'hui font tout à fait le contraire : ce sont des intellectuels qui doivent, pour survivre, prétendre qu'ils ne le sont pas. C'est le phénomène du plébéisme (vous pardonnerez l'invention de ce mot, que je trouvais à propos par opposition au snobisme). Une élite intellectuelle qui s'abaisse socialement et intellectuellement pour être valorisée et obtenir le pouvoir.

Le problème est que, dans toute cette mascarade, il devient impossible de distinguer qui est véritablement imbécile de qui ne fait que semblant. Au moins, avec le snob, il était plus aisé de distinguer l'usurpateur : Monsieur Jourdain n'arrive à tromper personne, même pas sa paysanne de servante. Le problème du plébéisme est autrement plus inquiétant. « Moé j'vous garantis qu'on va met' de l'ord' à ville, pis on va rentrer de l'argent, pis on va couper youski faut couper » s'écrie le brillant candidat Christian Légaré, propriétaire du casse-croûte « Le coin de la Patate ». Mais entre cela et les discours sur les « vraies affaires » de Mario Dumont, quelle différence ? Même Madame Marois n'y échappe pas : sa réputation est compromise pour la simple raison qu'elle est riche, et son avenir politique ne dépend que de son aptitude à faire oublier ce « défaut » inacceptable en s'inspirant du Châtelaine pour construire son programme. Pour réussir en politique québécoise aujourd'hui, il faut fournir ses lettres de plèbe, être (ou paraître) pauvre, ignorant et dépourvu d'esprit. Comment discerner l'idiot qui mènera la ville à la ruine de l'idiot qui n'est idiot que par nécessité politique ?

Mieux vaut ne prendre aucun risque, et ne voter ni pour l'un, ni pour l'autre. Sur ce, bonne course à la mairie, et que le plus imbécile gagne !

Extravagantes salutations,

Baron de Moulintombant

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Baron, confondez-vous volontairement le snob et l'intellectuel? J'y vois pourtant une distinction importante. Le premier sans le deuxième est assez minable, alors que le deuxième a ce qu'on appelle sûrement un grand charisme et un pouvoir d'attraction.

Quant à vous, Moulintombant, vous alliez avec brio les deux personnalités, pour le bonheur de votre cour...

Baron de Moulintombant a dit…

Cher Regard,

Je sais très bien la différence entre le snob et l'intellectuel; par contre, on peut être intellectuel sans être élitiste, sans être raffiné, sans rechercher l'élégance... Je fais d'ailleurs la nuance dans ma lettre : je m'intéresse davantage à la démarche du snob (à son ambition) qu'à ses qualités réelles. Peut-être y aurait-il un mot plus adapté pour qualifier cette démarche d'élévation sociale ? Élitisme, peut-être ?