mercredi 2 janvier 2008

Lettre à Monsieur Denis Bouchard sur le spectacle d’ouverture du 400e de Québec

Monsieur,

Vous devez être bien fier, après les éloges dont on vous a couvert, d’avoir été le principal artisan de ce fameux spectacle qui devait ouvrir les célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec. Je vous avouerai bien humblement que j’avais de grandes attentes envers votre spectacle car, même si je n’ai plus pignon sur rue à Québec depuis bon nombre d’années, je suis quand même profondément attaché à cette ville, ne serait-ce que pour son histoire, sa beauté. Et puis, une fête de 400 ans, ce devait être quelque chose de grand, le genre de chose que l’on ne voit qu’une fois dans notre vie, si vous voyez ce que je veux dire. Vous me permettrez donc, en ce début d’année où les bonnes résolutions et autres paroles d’ivrognes nous empoisonnent déjà l’existence, de jouer les trouble-fêtes et de vous dire, envers et contre tous, que votre spectacle, Monsieur, était d’une médiocrité qui m’a arraché quelques larmes.

On m’accusera sans doute de mauvaise foi : je n’ai pas eu le courage de faire le voyage pour aller m’entasser avec les autres à Place d’Youville et il est vrai que le 31 au soir, je n’ai pu voir que des fragments du spectacle qui m’a troublé par son caractère phénoménalement quelconque. Comme je sais qu’on ne peut pas toujours juger du général par le particulier, je me suis fait un devoir de regarder le spectacle en reprise le lendemain, la tête froide (et sobre). Je n’ai pas été déçu. Je veux dire : je n’ai pas été déçu de voir que je ne m’étais pas trompé sur la banalité de cet événement.

Je tiens à préciser, Monsieur, que je ne veux pas dénigrer la plupart des artistes qui ont participé à cette fête. Ils avaient foi en leur talent (la plupart en avaient un) et ils ne faisaient, en somme, que ce que vous leur avez demandé de faire. Jacques Villeneuve n’a pas de talent de chanteur, mais on ne peut lui reprocher d’avoir enregistré un album si, depuis que lui est venue cette fantaisie de devenir musicien, personne n’a eu le courage de lui dire qu’il était mauvais. Vos artistes, Monsieur, ont fait ce qu’ils ont pu pour soutenir le peu de créativité qu’il y avait derrière ce spectacle, mais leur talent n’était simplement pas à la hauteur d’un événement qui devait être d’une envergure inégalée.

Vous avez été bien prompt, Monsieur, à vous couronner des bons mots qu’on a véhiculés en boucle dans la presse québécoise à propos de ce spectacle. Si vous aviez ne serait-ce qu’un atome de sens critique, chose que je désespère désormais de trouver au Québec, vous auriez probablement remarqué que ces commentaires, tous bons qu’ils soient, ne sont fondés que sur les vaporeuses impressions de journalistes de fin de semaine : « la population en a eu plein la vue », « les gens ont été éblouis ». Vous m’accorderez, Monsieur, que toute critique, bonne ou mauvaise, doit être appuyée sur des observations plus étoffées que cela.

Votre spectacle était, au mieux, digne de ces innombrables productions inintéressantes que l’on présente dans les casinos et aurait sans doute été à sa place entre
Génération Motown et Hommage à Michel Louvain. Un numéro de danse cubaine dans une fête qui doit être inoubliable ? De grâce, vous auriez dû laisser cela où vous l’avez déniché, probablement au Coconut Resort de Cayo Coco où vous passerez peut-être des vacances bien méritées. Le 400e de Québec méritait mieux qu’un de ces vulgaires spectacles de variétés destinés à une poignée de têtes blanches sans esprit qui applaudissent à tort et à travers, tout contents qu’ils sont de pouvoir sortir de leur foyer. Les « célébrités » qui participaient à votre spectacle avaient d’ailleurs tout pour plaire à ce genre de public. Les bonnes vieilles dames ont certainement versé une larme en apercevant l’insupportable Bruno Pelletier descendre sur scène dans son manteau de diva, lui qui sait insuffler autant d’émotions dans « je t’aime » que dans « je promène mon caniche ». Grégory Charles, n’en parlons point : lui aussi est un monument du spectacle de variétés. Quant à l’insipide Stéphane Rousseau, je m’étonne qu’il ait accepté de paraître sur scène autrement que torse nu; le froid y était sans doute pour quelque chose. Pelletier, Charles, Rousseau... et pourquoi pas Carmen Campagne ? Il me semble que le Québec possède des artistes illustres qui auraient été plus à même de faire lever la fête et d’en faire quelque chose d’électrisant. Il y a de ces spectacles qui frappent l'esprit, le genre d'amalgame d'artistes que l'on voit une seule fois dans notre vie : Charlebois, Pagliaro, Gilles Vigneault, Piché 2(x-45)+80, Séguin, Mes Aïeux, les Cowboys fringants, Luce Dufault, Marjo, Diane Dufresne, Jean-Pierre Ferland, Corneille, Ariane Moffat et bien d'autres. Je ne les apprécie pas tous également, mais ils auraient certainement su marquer, à leur façon, un véritable «événement». Comment expliquer la maigre distribution de votre spectacle ? Avez-vous manqué de budget ? Monsieur Pelletier aurait-il fait des pressions pour conserver l'exclusivité du « gros nom » ? Peu importe vos raisons, cela ne change rien au fait que votre spectacle n'a pas été un « événement ». Les critiques qui vous encensent ne me leurrent pas : j’ai vu la foule, et il y avait autant d’ambiance à Place d’Youville qu’à St-Pierre de Rome pour la bénédiction papale.

Il est louable que vous ayez eu un souci pour la relève en invitant dans votre spectacle de jeunes artistes moins connus. Or, peut-être n’ont-ils pas été suffisamment encadrés : c’était votre devoir, vous qui détenez l’Expérience, de les guider et de les empêcher de trébucher. Où étiez-vous donc, Monsieur, pour les avoir laissés s’humilier de la sorte ? J’avais entendu de fort bons commentaires sur la jeune Pascale Picard, que je ne connaissais pas du tout. J’ai du mal à concevoir qu’on ait pu la laisser jouer une cacophonie insupportable qui ressemblait étrangement à ce que le jeune fils de mon voisin joue dans son garage le samedi après-midi. Tout sonnait faux : la musique, la voix… et même pour un musicien profane, ce numéro n’avait rien de charmant. Le numéro de Florence K, Claire Pelletier et Jessica Vigneault, déguisées en regrettées duchesses du Carnaval, était moins pénible mais tout aussi banal. Et que dire de ce numéro qui fut le clou dans le cercueil de ma bonne foi : ce rap désolant sur les noms des rues de Québec, qui devait attiser la foule en lui criant « Saint ! Saint ! Saint ! Québec est la ville des Saints ! ». Les mots me manquent (et ce n’est pas peu dire, Monsieur) pour qualifier un pareil désastre.

Même votre feu d’artifice était banal. Qu’on me comprenne bien : voir un feu d’artifice au-dessus de Québec a quelque chose d’indéniablement charmant en soi, mais vous avez voulu un gros « boum », tel un enfant qui s’amuse avec des pétards et qui veut tout faire exploser d’un seul coup. La pyrotechnie, comme la musique, demande de la subtilité, de la finesse, de l’harmonie dans les formes et les couleurs. On aura vu mieux aux Grands Feux Loto-Québec.

De la finesse, de l’harmonie, de la subtilité; trois choses que vous avez oubliées dans votre spectacle, Monsieur, et qui m’obligent cruellement à conclure que l’ouverture du 400e de Québec était au pire complètement ratée, au mieux péniblement quelconque.

Je vous quitte, Monsieur, en souhaitant que vous sachiez peut-être oublier mon insolence sur les blanches plages de Cayo Coco.

De votre humble mais non moins franc serviteur,

Baron de Moulintombant